Pour avoir saisi une requête sur le moteur de recherches Google, puis avoir suivi un des liens proposés en réponse, avoir téléchargé des documents accessibles au public alors qu’ils s’y trouvaient du fait de l’erreur d’un organisme public, le journaliste Bleutouff a été condamné pour le délit pénal de maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données prévu à l’article 323-1 du Code pénal.

Il écope de 3.000 euros d’amende et d’une inscription au casier judiciaire.

Notre propos n’est pas ici de commenter cette partie de la décision. Un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme se prépare, car dans la multitude de problèmes posés par cet arrêt, la liberté d’expression est ici et dans ce cas, également concernée. Nous y reviendrons.

Mais comme s’il fallait s’assurer à tout prix que Bluetouff n’échapperait pas à son sort, la Cour d’appel approuvée par la Cour de cassation, y a ajouté un second délit, le vol de données.

C’est bien la première fois que de manière aussi claire, la plus haute cour de justice française consacre le « vol de données », c’est-à-dire le vol d’une chose immatérielle.

A-t-on bien compris l’enjeu et les conséquences d’un tel revirement, qui apparaît à première vue purement technique ? Nous allons expliquer ici ces enjeux et conséquences.

Le vol se définit au Code pénal comme « la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui ». La définition est pratiquement inchangée depuis l’avènement du Code pénal de 1810 sous Napoléon.

Traditionnellement et depuis tout ce temps, la notion de « chose » a toujours été entendue comme une réalité concrète, tangible, autrement dit la chose est nécessairement corporelle. Et lorsqu’on la soustrait, on prive son propriétaire de son usage et de sa disposition.

A l’opposé, le droit français a toujours placé le terme de bien.

A la différence de la chose, le bien a toujours renvoyé à la valeur d’un élément qui peut être dépourvu de corps physique.

Or, dans le cas du vol, c’est bien de chose dont on parle.

Aussi, les données informatiques ne devraient pas être soumises au vol.

D’ailleurs, si on « soustrait » des données, on ne prive pas son propriétaire de leur usage. On ne fait que prendre copie de la donnée d’autrui.

Mais plus encore, en renversant deux Siècles de concepts juridiques et de jurisprudence constante, la Cour de cassation a ouvert la boite de pandore.

Si la consultation d’un document derrière un lien hypertexte public est un vol, parce que non autorisé par un propriétaire par ailleurs défaillant, il faudra beaucoup d’agilité aux juges pour ne pas voir un vol dans la lecture non autorisée d’un livre, par exemple dans les travées de tel magasin.

Si le vol peut aussi concerner des biens immatériels, peut-on demain déposer plainte pour un vol d’information ? On ne voit pas comment on pourrait s’en priver dans ces circonstances.

Plus encore, pourquoi s’arrêter en chemin : dans la mesure où le revirement semble sans limite, le vol d’une idée apparaît désormais possible, alors que l’idée était même hors d’atteinte de la propriété intellectuelle et de la contrefaçon.

Chacun comprendra que la solution adoptée par la Cour de cassation pourrait ouvrir l’appétit à quantité d’intérêts qui trouveraient là le moyen de faire taire des gêneurs ou de régler des comptes.

Aussi, la position de la Cour de cassation ne paraît tout simplement pas tenable.

Espérons donc au moins, que cette décision sera un cas isolé sans lendemain.